Le RPG.

La journée s'annonçait belle au Soul Society; haut dans le ciel, le lumineux soleil, immense boule de feu flamboyante lévitant au sein de la voûte céleste, dardait de ses doux et chaleureux rayons sur le monde tandis que le Rukongaï s'animait doucement, l'aube étant maintenant achevée et laissant place à un paisible soleil de midi éclairant le monde spirituel de ses agréables lueur. Contrairement au temps, le moral de Kira n'était pas au beau fixe, loin de là... Paisiblement allongé sur son fûton dans les quartiers de la quatrième division, cloîtré dans une chambre isolée, il regardait d'un oeil distrait le ciel azuré dépourvu de nuage, son épaisse mèche blonde balançant imperceptiblement devant son oeil gauche, agitée par une douce brise portant la chaleur d'un nouvel été. L'air inquiet, les yeux mi-clos, le vice-capitaine fit la moue face à ce paysage aux milles nuances pastels et se rallongea doucement, fermant les yeux pour réfléchir calmement aux événements récents comme il lui était arrivé de le faire mille et une fois chaque jour depuis la désertion des traîtres Aizen, Tôsen et... Ichimaru.

Le simple fait de penser à ce dernier nom fit pousser à Kira un discret gémissement plaintif, son éternelle moue inquiète sur le visage, rouvrant des yeux porteurs d'une insondable tristesse mélancolique, regardant fixement l'immaculé plafond blanc de la petite pièce exigüe où on l'avait isolé pour la durée de son "hôspitalisation" dans les bâtiments de la quatrième division, selon les directives données par Unohana, afin qu'il puisse se remettre de ses émotions et de ses blessures en toute quiétude et à l'écart des autres blessés qui, pour ceux ayant appris d'une manière ou d'une autre le soutien qu'il avait apporté à son capitaine, risquaient fort de lui faire subir le prix de ses actes si ils venaient à le trouver. Ressassant tout cela, il déplaça d'un geste faible le repli droit de son kimono et effleura du bout des doigts le bandage immaculé qui entourait son torse pâle et frêle. Il n'était même pas réellement blessé, il ne s'agissait que d'un plaie superficielle, stigmate de son affrontement avec Matsumoto, qui l'avait, il faut bien l'avouer, écrasé à plate couture. Il soupira plaintivement. Unohana l'avait certainement placé ici de manière à ce qu'il réfléchisse à ses actes et qu'il comprenne qu'il s'agisse de complicité à un criminel.

Certes, il le savait, ses actes étaient passibles d'une peine de mort pure et simple. Bien heureusement, le Sôkyôkû avait été mis hors d'usage, ce qui réduirait grandement la douleur à subir au cas où il aurait à endurer ce supplice. Il avait aidé un criminel dans son oeuvre. Cette phrase tombait à plat dans son esprit, comme illogique, improbable. Ichimaru, à ses yeux, ne pouvait en aucun cas être un criminel. En l'état, Kira était semblable à un enfant dont on accuserait le héros, le modèle des pires exactions et qui, donc, le défendrait énergiquement de tout son coeur, niant les accusations. Il se retrouvait dans un cas de figure semblable, hormis que le dialogue se faisait entre deux parts de lui-même, le Kira rationnel, le Kira d'antan, qui réalisait pleinement ce qui s'était déroulé et celui d'aujourd'hui, égoïste et obstiné, niant et protégeant son idole envers et contre tout des crimes dont on le chargeait, bien que les preuves soient irréfutables. Une crise psychologique qui brisait le monde de Kira, ce qu'il était, comme si son âme était redevenue poussière sous le choc de cette confrontation mentale.

Contrit, Kira laissa glisser son regard sur les tatamis de la pièce, les yeux perdus dans le vague tandis qu'il remuait de sombres pensées tout en se dégradant lui-même sans réellement s'en rendre compte. Il réalisait à présent totalement la portée de ses actes, et prenait conscience de ce qu'il avait fait de lui-même; une larve, un objet, une simple arme que l'on jette après usage pour Gin Ichimaru, du fait de sa trop grande dévotion. Lui, Izuru Kira, si talentueux, si prometteur, avait gâché des années de sa vie à poursuivre un homme qui n'était rien d'autre qu'un immonde traître. Il eut un rictus, hésitant entre en rire et en pleurer, confus. C'est alors que son regard se posa lentement sur une vieille photo, tombée à côté de son oreiller. Ne réalisant tout d'abord pas de quoi il s'agissait, il cessa un instant d'examiner la pièce et détailla longuement le cliché, comme s'il lui fallait faire la mise au point. Une photo... Une vieille photo qui lui sembla à cet instant provenir d'un autre monde tant ce qu'elle représentait lui semblait improbable.

Il se redressa lentement et s'extirpa de l'épaisse couverture qui le recouvrait, se saisissant de l'image, délavée et abîmée par les affres du temps. Bien heureusement, ce qu'elle représentait était toujours visible. Lui-même, Renji Abarai et Momo Hinamori, se tenant fièrement devant l'académie, diplômes à la main, souriants. Il écarquilla lentement les yeux, plongeant lentement et avec difficulté dans un passé qui lui semblait si lointain, se remémorant les instants qu'ils avaient passé à trois, les bons comme les mauvais. Une petite part de lui, cette part de Kira qui vouait un culte divin à Ichimaru, maugréait au plus profond de lui qu'Izuru Kira n'était pas du genre à avoir des amis, mais la contemplation du cliché faisait que le vice-capitaine ne l'entendait pas, tant et si bien que cette petite voix en lui qui, si longtemps, l'avait poussé à suivre les ordres d'Ichimaru sans se soucier de leurs conséquences, s'éteignit sans laisser de traces.

Kira esquissa un sourire et se releva maladroitement, rangeant avec précaution la photo dans une poche intérieure de son kimono réglementaire, comme si elle venait de devenir à ses yeux la chose la plus importante au monde. Il releva fièrement la tête, l'air motivé, et se dirigea d'un pas ferme vers la sortie de la pièce, débordant d'énergie et prêt à affronter ceux qui en avaient après lui. Un nouveau Kira était né des cendres du précédent, larbin servile à la solde d'Ichimaru dont la disparition ne ferait de mal à personne. Fixant solidement le fourreau de Wabisuke à la ceinture de son kimono à l'aide du filin prévu à cet effet, il sortit d'un pas silencieux, prêt à affronter le monde en tant que "nouveau Kira".

Après tout, chacun a droit à une seconde chance, non?